Interview d’Isabelle Sezionale avec Faustine BOLLAERT sur France 2
L'interview :
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Faustine Bollaert: Je le disais, ça arrive dans n'importe quel milieu. Vous, vous étiez, est ce qu'on peut dire que vous étiez dans une prison dorée? Vous, Isabelle, vous avez grandi un peu dans une prison dorée ?
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Isabelle Sezionale: C'était, c'était doré. Une prison, je ne sais pas si j'ai conscience d'avoir été dans une prison. Je ne sais pas.
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Isabelle Sezionale: C'était mon univers. C’était celui-ci, je n'en connaissais pas d'autres.
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Faustine Bollaert: Vous avez régulièrement été abusée par un garçon de votre entourage familial?
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Isabelle Sezionale: Oui, un enfant de la famille, , un peu plus âgé que moi, donc c'est un enfant aussi.
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Faustine Bollaert: Vous aviez quel âge quand ça a commencé ?
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Isabelle Sezionale: Alors je ne sais pas exactement, mais disons entre 4 et 14 ans. Donc, j'ai des flashs. Oui, ça a duré plus de dix ans, voilà.
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Faustine Bollaert: Oui
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Isabelle Sezionale: Je n'ai pas les mots. Je n'entends pas mais je vois les images, je me vois, je suis en dehors de mon corps et j'assiste à ce qui se passe, voilà...
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Faustine Bollaert: Les flashs ne vous ont jamais quittée ou ils sont revenus bien plus tard ?
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Isabelle Sezionale: Ah non j'ai toujours su, je les ai toujours eus. Je suis vraiment consciente de ce qui s'est passé.
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Faustine Bollaert: Pourquoi ne pas avoir parlé, vous, à l'époque? C'était quoi votre raison?
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Isabelle Sezionale: Au départ, on est petit, on ne sait pas ce qui se passe. J'ai subi des attouchements, puis, puis des viols avec objets, voilà, des pénétrations avec objets. Et plus....
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Isabelle Sezionale: Au début, c'est comme ça. Avant de prendre conscience vraiment de ce qui se passe il faut, il faut un certain temps. J'ai écrit deux rédactions à l'école. Donc, j'ai 10 ans quand j'écris, pour des évènements antérieurs.
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Faustine Bollaert: Ça aurait pu mettre la puce à l'oreille de vos professeurs et de votre entourage ces rédactions.
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Isabelle Sezionale: Oui, alors les mots sont particuliers. Attention, il n'y a pas... On ne décrit pas un viol. Il faut comprendre. Aujourd'hui un psy comprend de suite.
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Isabelle Sezionale: Moi, quand j'ai récupéré ces cahiers, je suis allée chercher immédiatement. J'ai récupéré ces cahiers il y a une dizaine d'années et immédiatement, je suis allée chercher. Je savais que j'avais écrit. Vous voyez, moi, j'avais vraiment conscience de ce qui s'était passé. Et l’évènement, un des évènements douloureux que je décris, c'est dans la cave et je m'assois sur une bouteille de Perrier. Et donc, la nounou, je vous en parle parce que la nounou va voir le sang dans la culotte et va dire, (c’est la première fois qu'il y a un échange avec un adulte), « ce n'est pas normal, je vais en parler à maman ».
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Faustine Bollaert: Elle en a parlé à votre mère, cette nounou ?
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Isabelle Sezionale: Je ne sais pas. Je n'ai pas eu de retour. Donc, je suis renvoyée à la normalité que...
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Faustine Bollaert: Vous avez lancé des appels au secours en fait ?
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Isabelle Sezionale: J'ai tenté ça. Puis vers 14 ans, j'ai un peu moins de 14 ans, je pense à peu près, je vais lui dire « il faut arrêter, là il faut arrêter » et il va me faire chanter. Il va me dire « Si tu ne continues pas, je vais dire à maman tout ce que tu as fait » et pour moi, et moi je le crois, enfin, je veux dire, je crois, je ressens…
Vous avez peur ?
Vous avez peur ?
Isabelle Sezionale: j'ai peur, je suis coupable, je me sens coupable, je crois l'être. Bien sûr, je ne le suis pas, je crois l’être. J'ai ce sentiment là et donc j'ai honte. Et donc je me tais, je continue à me taire.
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Faustine Bollaert: Et à quel âge vous allez réussir à parler, ou en tout cas à mettre...
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Isabelle Sezionale: La première fois où je parle à ma mère j'ai 24 ans. Donc j'ai déjà été mariée.
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Isabelle Sezionale: Donc ça s'est arrêté parce qu'il est parti de la maison, c'est tout. Je n'ai jamais été capable de le faire arrêter. En tout cas, j'ai ce sentiment aussi, cette culpabilité énorme de ne pas avoir été capable de le faire parler,… de le faire arrêter...
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Faustine Bollaert: C'est terrible cette phrase que vous venez de dire, " je n'ai jamais été capable de le faire arrêter »....
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Isabelle Sezionale: Ben c'est ce que j'ai ressenti moi...
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Faustine Bollaert: Bien sûr, bien sûr...
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Isabelle Sezionale: On se sent. On se sent coupable...
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L'expert: Oui, c’est complètement renvoyer à l'envers le problème, en fait...
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Isabelle Sezionale: Bien sûr, j'ai conscience totalement de cela aujourd'hui. J'ai fait un gros travail, donc je comprends bien…
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Faustine Bollaert: Avancer, c'est se libérer de cette culpabilité.
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Expert 2: Tout à fait.
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Isabelle Sezionale: Exactement, j'ai fait ce chemin-là, après. Donc... Je parle à ma mère quand j'ai 24 ans.
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Isabelle Sezionale: Je me suis mariée à 21 ans. J'ai eu un enfant à 24 et à 24 ans mon mari est parti à la naissance de mon enfant et donc là, je me retrouve seule et tout, je suis fragilisée. Il y a même eu la mort, le décès de mon père et donc je parle à ma mère. Je lui parle... Je lui donne les mots, je lui dis...
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Faustine Bollaert: À vos 24 ans. C’est ce que vous nous dites.
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Isabelle Sezionale: Oui.
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Faustine Bollaert: Elle vous croit, votre mère ?
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Isabelle Sezionale: Elle ne dit rien, rien... Le silence, donc. Encore une fois. Moi j'interprète. Je me dis : « ça lui fait trop mal , c'est trop douloureux pour elle ». Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi dire. En tout cas, j’ai ce silence. Et donc, je continue à me taire. Voilà.
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Isabelle Sezionale: Puis, je suis quand même une battante et je mets tout ça de côté, même si je sais, je mets tout de côté et je fais, je fais ma vie comme si c'était quelque chose à cacher, et je les reçois et j'échange avec eux. J'ai continué pendant toute ma vie à avoir des relations avec eux, le bourreau compris.
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Faustine Bollaert: Alors, à quel moment les choses vont vraiment exploser? Que vous puissiez dire vraiment?
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Isabelle Sezionale: Donc, je continue. Je me suis... Quand même j'ai eu un refuge toute mon enfance, c'est mes études. J'adorais les maths, j'ai fait des mathématiques, j'ai un doctorat et donc je me suis vraiment réfugié là-dedans. C'était quelque chose de très bien pour moi, sans aucun affect, sans rien. J’étais tranquille. Et puis je suis... Donc j'ai eu ce premier divorce, je suis rentrée à IBM, une compagnie internationale, j'ai fait une carrière. J’avais cette volonté de briller. Toute ma vie, j'ai voulu briller, voilà c'était comme ça.
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Faustine Bollaert: Oui...
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Isabelle Sezionale: Et donc je réussis bien, attention...
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Faustine Bollaert: ( sourire).
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Isabelle Sezionale: Je me remarie et 14 ans plus tard, je fais un autre enfant. J’essaie de construire... Je bâtis ma vie, je la bâtis sans arrêt.
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Isabelle Sezionale: Bon... Pas bien !...
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Isabelle Sezionale: C’était avec des mauvaises bases, bien sûr. Ben oui...Mais bon, ça fait rien. Je trouve, j'essaie de trouver la reconnaissance par cette carrière, etc. Mes enfants...
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Faustine Bollaert: Et ce silence vous le brisez quand ?
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Isabelle Sezionale: Alors... Je parle à mon mari, mon deuxième mari, je lui parle souvent, mais bon,... « Tu vas quand même pas porter plainte contre lui ? »
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Isabelle Sezionale: Voilà. « Et puis de toute façon, tu es soumise à la prescription ». Alors la prescription, à l'époque, c'était... À 24 ans, tout était prescrit.
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Isabelle Sezionale: C'était dix ans après les faits. Effectivement, je n'avais pas droit à la parole.
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Isabelle Sezionale: Donc, je continue, je continue comme ça, je me dis, bon allez, c'est bon, je continue. Et puis, mon deuxième mari s'en va, voilà, et là, je me retrouve donc... J'ai 55 ans, quand je me retrouve à nouveau seule.
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Faustine Bollaert: ...
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Isabelle Sezionale: Et, et cette douleur que je vais ressentir, je l'avais déjà ressentie à plusieurs étapes de ma vie. Mais à ce moment-là, elle est décuplée, c'est à dire que physiquement, ça devient insupportable.
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Isabelle Sezionale: J'ai tout qui s'échappe, toutes les entrailles s'échappent de moi... C'est sans arrêt. C'est quelque chose de... Je ne sais pas, il n'y a pas de mots pour qualifier ce que vous ressentez physiquement...
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Isabelle Sezionale: Et… J'avais l'habitude. J'avais les cauchemars. Je les ai eus pendant 50 ans. Je n'ai pas vécu tranquillement, attention. Quand je me suis, quand j'ai dit je me bats, c'était avec de la souffrance quand même.
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Faustine Bollaert: Bien sûr.
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Isabelle Sezionale: Mais là, je pouvais plus... Je ne suis plus arrivée...
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Isabelle Sezionale: J'aimais la vie, mais je ne supportais plus la souffrance. C'était plus possible, et ... Heureusement, j'ai eu la chance à ce moment-là de consulter.
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Isabelle Sezionale: Je ne suis pas allée pour ça, parce que pour moi ce n'était pas important ce que j'avais vécu, il n'y avait aucun problème. C'était... anecdotique, mais elle, elle a su entendre. Elle m'a tendu la main et donc on a fait un grand travail. En même temps, j'ai écrit un livre...
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Faustine Bollaert: Qui a abouti à un livre. Comment il a été reçu par votre famille?
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Isabelle Sezionale: Alors... C'est le début de ma thérapie, le livre... J'ai craché ce que j'avais à dire dans ce premier livre. Après, j'ai continué à en faire d'autres, sur le sujet d'ailleurs.
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Isabelle Sezionale: Mais ce livre-là,
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Isabelle Sezionale: La dernière phrase du livre c'est "Je ne me laisserai pas faire, je sortirai de la poubelle..."
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Isabelle Sezionale: Voilà, c'était vraiment ce que j'avais en moi. J'avais cette sensation d'avoir fait une vie dans une poubelle.
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Isabelle Sezionale: J'ai réfléchi et à ce moment-là, j'ai compris avec cette dernière phrase que ce que je voulais, c'était me réapproprier ma vie, c'est dire voilà ce que j'ai. Voilà ce que j'ai vécu dans ma vie. Et donc, j'ai dit « je le publie en mon nom ».
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Isabelle Sezionale: J’ai publié ce livre en mon nom.
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Faustine Bollaert: Et votre bourreau, il l'a lu ?
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Isabelle Sezionale: C'est à dire qu'ils m'ont fait tous un procès ensemble. Toute ma famille m’a fait un procès, et bien sûr… Pour atteinte à la vie privée, voilà...
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Faustine Bollaert: En vous traitant de quoi ?...
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Isabelle Sezionale: Je m'y attendais, je m'attendais au procès... Donc, bon, atteinte à la vie privée, effectivement...
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Isabelle Sezionale: J'ai été condamnée puisque...
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Faustine Bollaert: Vous, avez été condamnée ?!...
00:08:29
Isabelle Sezionale: J'ai été condamnée !
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Faustine Bollaert: C'est dingue !
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Isabelle Sezionale: à leur verser 1 euro symbolique à chaque membre de ma famille
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Faustine Bollaert: Insupportable !
ISABELLE une femme remplie de courage !!! Malgré sa souffrance. Isabelle je l’ai connue toute petite ( j’ai travaillé dans l’entreprise de son papa , mes parents étaient amis avec les siens ) Je n’ai appris la situation qu’elle a vécu que bien des année plu tard incidemment , lors de la parution de son premier livre Encore une fois je le répète ISABELLE est une femme formidable !!! elle aurait mérité de vivre une vie exceptionnelle de part sa situation familiale ( aisée ) et son savoir Je me permet de lui adresser mes sentiments les meilleurs et grosses bises
Merci !